L’art millénaire de la poterie africaine, traditionnellement l’apanage des femmes, fascine par sa diversité : formes, textures, originalité des motifs gravés ou ajoutés, fonctionnalité et créativité, tout concourt à attiser la passion du collectionneur d’art sérieux.
Un ensemble de plus de 100 objets provenant de l’Afrique subsaharienne, principalement du Mali, du Burkina Faso, du Cameroun, du Nigeria, de la République démocratique du Congo, de la Tanzanie et d’Afrique du Sud, ont été rassemblés au fil des années par Simon Blais afin de présenter une importante exposition.
Tous ces objets ont servi. Ils sont patinés par l’usure et par le contenu qui les a habités. Leur odeur, quant à elle, nous ramène aux foyers de cuisson ou aux autels sacrés sur lesquels ils ont reposé pendant des années. Pots, vases, coupes, gobelets et urnes aux formes géométriques, parfois anthropomorphes ou zoomorphes, tous ont une histoire qui demeurera secrète à nos yeux d’Occidentaux. Seule reste leur beauté magique.
Certains objets ont été collectés récemment, comme ces vases à bière zoulous, acquis auprès des utilisateurs traditionnels dans des régions éloignées du Zoulouland, qui ont servi parfois pendant des décennies avant d’être « abandonnés » aux mains de nouveaux acquéreurs, avides de collection. D’autres pièces sont issues de fouilles archéologiques anciennes et peuvent avoir été façonnées il y a aussi longtemps qu’au IXe siècle de notre ère! Les vases et les urnes provenant de Djenné au Mali, pour leur part, datent couramment d’une période s’étendant du XIIe au XVe siècle, témoins de la maîtrise absolue de cet art ancestral de l’humanité, notamment par la grâce et l’élégance des formes autant que par les motifs gravés qui les décorent.
Vue de l'exposition, salle Lobi
Il y a sept ans, j’acquérais mon premier objet d’art tribal « authentique », une magnifique statuette Lobi, petite, sans prétention ; et sans trop comprendre pourquoi elle m’avait appelée de la sorte. Aujourd’hui, je m’explique mieux ma réaction, et peux enfin décrire avec des mots et avec des objets d’art ce qui est devenu une passion tant de collectionneur que de marchand contemporain et moderne. Ce coup de foudre a marqué un tournant dans l’orientation de mon activité de collectionneur en ce que l’acquisition de ce premier objet « représentatif » était en fait un tournant majeur : jamais auparavant je n’avais eu d’intérêt pour la représentation humaine dans les œuvres d’art qui faisaient partie de ma vie ! C’est donc un petit Lobi qui m’a fait comprendre la nécessité pour moi de m’entourer d’une certaine vision de l’être humain telle qu’elle est perçue par les artistes, ceux du présent comme ceux des siècles passés.
L’art des Lobi, encore méconnu il y a cinquante ans, en est un qui, au-delà de la fonction première des objets et sculptures (généralement en bois), objets rituels et sacrificiels, se rapproche d’un certain art populaire occidental. Je m’explique : dans la statuaire Lobi, les volumes sont inégalement répartis, le corps est rarement représenté de façon symétrique : bras exagérément longs, tête trop grosse ou trop petite posée sur un cou allongé, mains énormes et, surtout, asymétrie des membres et du tronc. Ces éléments faussement naïfs donnent un caractère très attachant, surtout au collectionneur d’art moderne et contemporain que je suis. Une autre caractéristique des objets réunis ici est leur aspect très ancien : les bois fortement érodés (généralement aux extrémités des personnages), les patines témoins d’une méticuleuse et longue utilisation (bois huilés ou croûtés, littéralement « nourris » puis polis selon les usages et fonctions respectifs), les craquelures et incrustations profondes, tout cela contribue à la beauté mystérieuse de ces œuvres, aux yeux autant des spécialistes et des collectionneurs que du marchand que je suis.
La présente collection réunit trente-cinq sculptures Lobi en plus d’un groupe de personnages Ibo de grande taille. C’est la modernité de la statuaire Ibo qui me fascine : volumes géométriques très marqués, scarifications et coiffures qui font évidemment référence à la beauté traditionnelle telle qu’elle est valorisée par ce peuple du Nigeria, mais qui est aussi très contemporaine de certaines modes et tendances présentes en Occident (scarifications et tatouages chez les femmes et les hommes d’Europe ou d’Amérique, et coiffure audacieuse ou provocante de la contre-culture).
Réunies autour du thème de la représentation humaine, et notamment du visage, ces œuvres d’art possèdent, à mes yeux, la grandeur et l’intensité de l’art le plus contemporain présenté aujourd’hui dans les grands marchés occidentaux. Et elles se marient très harmonieusement à cet art d’ici, formes et volumes s’imbriquant et se juxtaposant entre la peinture actuelle et la sculpture africaine.
Quelques œuvres remarquables d’autres groupes culturels d’Afrique subsaharienne sont présentées dans cet ouvrage, venant notamment du Soudan (Dinka), de Tanzanie (Sangara), du Mali (Dogon, Bozo), du Burkina Faso (Mossi, Dagari) et du Nigeria (Jukun, Montol, Yoruba), toutes ayant pour thème la représentation humaine à usage rituel.
Simon Blais
Août 2007
Statuaire ancienne d’Afrique subsaharienne
EXPOSITION DU 15 AOÛT AU 29 SEPTEMBRE 2007
GALERIE SIMON BLAIS – MONTRÉAL